Etudes sur le Langage du Corps
Personne et Psychose est un recueil de travaux rédigés entre 1953 et 1967. Dans cette édition revue et corrigée, Salomon Resnik nous fait part de ses premières expériences comme analyste d'enfants et d'adultes, et de son intérêt pour les problèmes de la communication et du langage que l'on rencontre lors du traitement d'enfants autistiques ou avec certains patients psychotiques.
Après avoir étudié la médecine et la psychiatrie en Argentine, Salomon Resnik s'installe à Londres pour poursuivre sa formation de psychanalyste avec Melanie Klein et Winnicott. Membre de l'Association de Psychanalyse Internationale, il exerce aujourd'hui à Paris et continue à enseigner en Italie où il donne de nombreux séminaires de recherche et de formation.
L'oeuvre littéraire de Salomon Resnik comprend en particulier : Personne et Psychose (1974), La Mise en Scène du Rêve (1984), L'Expérience Psychotique (1986), Espace Mental (1994), Delirio e Quotidianità (1994), Dialogo tra uno Psicoanalista e un Filosofo (tome I 1993, tome II 1996), Sul Fantastico : tome I Tra l'Immaginario e l'Onirio (1993) ; tome II Impatti Estetici (1996).
Préface : S. Horacio Etchegoyen
224 pages 16 x 24 cm 22,26 Euros
ISBN 2-912186-08-0
Illustration de couverture : Huile de Caziel (Kazimierz Jozef Zielenliewicz) 1953 Witford Fine Art Gallery
Bibliographie : Les références bibliographiques sont attachées à chaque chapitre
Horacio Etchegoyen *
Salomon Resnik est un des psychanalystes les plus originaux et les plus féconds de notre époque. Possédant une culture littéraire, philosophique et phénoménologique, il doit sa connaissance des théories psychiatriques et psychanalytiques non seulement à ses lectures et à sa pratique, mais aussi à sa présence, sa manière d'être dans la situation analytique.
Resnik est né à Buenos Aires où il a fait sa formation auprès de l'Association Psycho-Analytique Argentine (APA). Il fut le pionnier argentin de l'analyse des enfants psychotiques et autistes, et cette expérience lui a permis d'approcher le monde de la schizophrénie, expérience qu'il traduit ici dans ce livre.
A la fin des années quarante, il fait sa formation avec Luis Rascovsky et Marie Langer. Plus tard, il reprendra une analyse personnelle avec Luisa G. de Alvarez de Toledo. L'un des premiers élèves d'Enrique J. Pichon Rivière, il suit les séminaires de Marie Langer, Heinrich Racker et Celes Ernesto Carcamo, Arminda Aberastury, Angel Garma, Arnaldo Raskovsky et autres pionniers de la psychanalyse argentine. Parmi ses collègues de formation et amis se trouvent Leon Grinberg, David Liberman, Raul Usandivaras, Willy et Madeleine Baranger et Joel Zac. Quant à moi, je l'ai rencontré à la clinique psychiatrique d'Enrique Pichon Rivière dans les années cinquante, et depuis nous sommes restés très proches. En 1955, il assiste au Congrès International de Genève, en qualité de membre associé de l'APA, mais aussi de l'IPA, dont il devient membre titulaire et didacticien en 1957. Ses intérêts de vie et de formation l'amènent la même année en Europe. Il reste une année à Paris, où il suit les séminaires de Maurice Merleau-Ponty, de Claude Lévi-Strauss et de Roger Bastide. En même temps, il collabore à l'Hôpital Sainte-Anne au service d'admission de Georges Daumézon, en tant qu'assistant étranger. Là, il complète sa formation psychiatrique et fait des recherches avec Daumézon sur la sémiologie de la psychose dans le contexte groupal. A l'une de ces réunions assiste Morris Carstairs, éminent professeur en psychiatrie, qui, impressionné par l'intuition et l'originalité de Resnik, l'invite à Londres. Grâce à lui, il trouve en 1958 un poste d'assistant au Netherne Hospital, à Coulsdon, dans le Surrey, où il est chargé d'une communauté thérapeutique de jeunes patients psychotiques. L'année suivante, il intègre l'équipe soignante du prestigieux hôpital psychanalytique Cassel Hospital, à Richmond. Il demeure douze années à Londres, où il suit les séminaires de Melanie Klein, et ce jusqu'à la mort de celle-ci en 1960. Il reprend une longue analyse avec Herbert Rosenfeld, et assiste en tant que guest member aux séminaires et réunions de la British Psycho-Analytical Society. Il fera des contrôles individuels avec Bion, Hanna Segal et Esther Bick. "Bion, dit Resnik, m'a poussé à développer mes propres idées". Parmi ses autres influences, se trouvait Donald Winnicott, dont il suivit plusieurs de ses séminaires et avec qui il établit une grande amitié.
Dès 1968, il commence à voyager régulièrement à Paris pour y faire des séminaires dans les services des Docteurs Georges Daumézon à Paris, Tosquelles à Saint-Alban (Lozère) et Jean Oury à l'hôpital de Laborde à Cour-Cheverny. C'est ainsi que peu à peu il regagne Paris, où finalement il s'installe en 1971. Il retrouve à Paris et à Lyon, où il devient maître de conférence en psychiatrie dans le service du professeur Guyotat, un groupe d'élèves et de collègues intéressés par son approche de la psychose et par ses implications institutionnelles.
Resnik est un psychanalyste international, et sa culture linguistique lui a permis d'écrire tant en français qu'en italien, anglais ou espagnol.
Cette nouvelle édition de Personne et Psychose renforce la position de l'auteur vis-à-vis de la notion éthique et ontologique de la personne, et de sa tentative de compréhension de la psychose. Quel que soit le niveau de régression du patient, il s'agit toujours d'un être-personne. Resnik n'est pas seulement concerné pas le mécanisme du moi ou par la relation d'objet, mais aussi par le fait que le transfert psychanalytique se passe entre personnes.
Les premiers chapitres parlent de l'influence de Winnicott sur la pensée de Resnik, notamment en ce qui concerne le processus de personnalisation qui aboutit à la condition de personne. Il suit en partie les idées de Melanie Klein et de ses élèves, ainsi que celles de Winnicott, mais pas seulement. Il se réfère aussi aux contributions d'Enrique Pichon Rivière, de Paul Federn, E. Minkowski et Paul Schilder. Resnik pense en effet que l'idée de personne implique une unité et une identité, ce que le psychotique ne parvient pas toujours à préserver dans ses pensées et dans son "corps". Le psychotique accepte rarement les limites de son corps, la limitation de la vie et donc l'expérience de la mort.
Dans ce livre, tout comme dans L'Expérience Psychotique qu'il écrira par la suite, Resnik affirme que "la psychose est une sorte de "métempsycose". Le mythe de la transmigration des âmes fait en effet souvent partie de l'idéologie délirante du patient. Empêché par l'impossibilité de vivre son corps et d'assumer son monde émotionnel en crise, il essaie de quitter le bateau avant le naufrage (Jaspers).
Dans 'L'expérience de l'espace dans la situation analytique', chapitre 7, il part de la notion de chaos et de l'expérience catastrophique de la crise psychotique, pour étudier les vicissitudes de l'espace dans le transfert. Les psychotiques tendent à multiplier ces lieux, de la même manière que leurs pensées quittent un espace mental intolérable pour émigrer vers des aires et des temps inexplorés et utopiques.
Dans l'un de ses derniers travaux, 'Pensées sauvages en quêtes d'abri' , il développe ses idées sur l'errance de la pensée chez les psychotiques, pensée qui cherche toujours un lieu, un corps, une nature qui pourrait l'accueillir. Mais le traitement psychanalytique propose un retour à la vie du corps afin d'accepter son lieu par excellence et ses propres limites. Il s'agit alors de tolérer la douleur et le risque de revivre, les mêmes problèmes qui ont déterminé sa fuite, mais cette fois d'une autre manière.
Le passage d'une vision cosmique délirante à la norme signifie l'abandon d'une Weltanschauung narcissique. Celle-ci, qui s'était auparavant imposée au principe de réalité, doit à présent accepter le deuil que représente l'abandon de sa toute puissance idéologique. La personnalité psychotique, en conflit avec le monde, essaie d'instaurer sa propre conception, ses idées délirantes, et de transformer les personnes en choses qu'elle peut manipuler, déprécier et méconnaître avec arrogance.
Lorsque l'on arrive à assumer sa propre personnalité et sa condition de personne, que l'on reconnaît la diversité de l'autre, on peut alors assumer l'intégration de ses sentiments opposés, tel que le décrit Melanie Klein à propos de la position dépressive. C'est dans cette condition d'unité intra-psychique que le patient psychotique peut rétablir les liens d'interdépendance avec la société et "négocier avec elle" plutôt que d'imposer ou de se laisser imposer.
Que peut faire la méthode psychanalytique afin que les psychotiques abandonnent ce monde fascinant, mais illusoire et erroné ? Comment peut-elle les ramener à un quotidien routinier ? Aboutir thérapeutiquement à cela n'est certes pas une tâche facile, mais pas impossible dans l'esprit de Resnik.
Pour ce faire, Resnik se fonde sur trois principes de bases.
L'un est le langage, la pensée et l'identité du sujet.
Le second, ne pas oublier que malgré la perte de contact avec la réalité et l'idéologie délirante dominante, il y a toujours une partie du patient qui garde une relation avec le monde et qui demande à être aidé.
Le troisième se fonde sur l'idée qu'avec les moyens adéquats (qu'on découvre dans le transfert), l'analyste des psychotiques parvient finalement à établir des contacts avec les patients, et ainsi les aider à retrouver leur lien avec le monde.
Dans la dialectique entre un moi infantile dépendant et un moi délirant omnipotent (partie non-psychotique et partie psychotique) peut se développer le processus psychanalytique. Ici, les idées de Bion et de Rosenfeld sont tout à fait concevables dans la pensée de Resnik.
Restituer le moi infantile dans le transfert permet d'entrer en contact avec un moi ludique, qui autrefois était capable de jouer avec sa mère (et son père).
Ce sont des prémices inépuisables de la technique de Resnik, le respect global pour la personnalité de l'analysé, incluant la personnalité psychotique. D'après lui, il s'agit également de préserver de son côté son identité d'analyste et d'éviter de se confondre avec les patients. Resnik signale qu'une chose est de respecter la personnalité du psychotique et d'essayer de la comprendre, et une autre est de l'idéaliser.
Dans un style toujours personnel, qui tient compte de l'asymétrie du dialogue psychanalytique, il préserve ainsi sa flexibilité dans le difficile travail de reconstruction des "liens" détruits. A travers une compréhension des identifications projectives, on peut aider les patients à la ré-introjection et à assumer les anxiétés paranoïdes et dépressives inévitables que le retour des fragments du moi et des relations d'objet dans son corps implique. Ainsi se pose la nécessité d'une reconnaissance de l'altérité.
L'idée de personne, affirme Resnik, fait partie d'un processus dans lequel l'individu prend conscience de sa propre existence comme étant différence à celles des autres, mais cependant en relation avec elles. D'une autre manière, la présence de la mère en tant qu'entité séparée rend possible la découverte par l'enfant de son propre moi et la reconnaissance de celui de sa mère, en même temps qu'il conçoit simultanément la présence d'un tiers, le père.
Le processus de personnalisation se complète avec l'apparition du père, facteur indispensable de la construction, pour l'enfant, d'un lien avec le monde.
En conclusion, la situation psychanalytique nous offre la possibilité d'étudier la relation patient-analyste dans une perspective diachronique ou génétique, ou encore avec cette autre synchronie actuelle. C'est dans la dialectique du transfert et du contre-transfert que se joue la destinée du processus psychanalytique. Il s'agit d'une rencontre singulière entre deux mondes différents, qui impliquent en même temps, surtout dans le cas de la psychose, une multiplicité d'espaces et d'instants. Circonstances spatio-temporelles qui a un certain moment vont tenter de se ré-intégrer, ce qui ne signifie pas seulement coïncidence mais aussi divergence tolérable.
Comme le dit Resnik, il ne s'agit pas seulement d'un problème scientifique, mais aussi d'un problème éthique: il faut aider l'autre sans l'envahir ni le contaminer avec ses propres conflits et systèmes de valeurs, et vice-versa.
Le livre de Resnik mérite d'être redécouvert et de susciter de nouvelles réflexions. Je remercie l'auteur pour m'avoir confié cette préface, ainsi que pour l'opportunité de relire son livre, avec toujours beaucoup d'émotion.
R. Horacio Etchegoyen * Buenos Aires, juillet 1999
* Président de l'Association Psychanalytique Internationale de 1993 à 1997