Wilfred R. Bion : PENSÉE SAUVAGE, PENSÉE APPRIVOISÉE
Cet ouvrage rassemble deux oeuvres inédites de Bion, écrites à deux périodes différentes de sa vie, mais qui sont liées, comme l'indique Parthénopé Bion Talamo dans sa préface, par son idée de classifier et de conceptualiser la pensée.
Le premier article, présenté à la Société Britannique de Psychanalyse le 2 octobre 1963, est une description particulièrement claire et détaillée de la construction et de l'emploi de "La Grille" ; il annonce la rédaction plus discursive de l'article du même titre que l'on trouve quelques années plus tard dans les Entretiens Psychanalytiques. Cette première version de "La Grille" est unique et elle est sans aucun doute d'un intérêt majeur pour une meilleure compréhension et l'étude de cet outil.
La deuxième partie du livre consiste en la transcription de deux enregistrements datant de mai 1977. Ces textes devaient apparemment constituer les premiers chapitres d'un livre que Bion n'achèvera pas. Ils soulignent son intérêt pour les pensées "sauvages" ou "vagabondes" et permettent d'approcher l'extraordinaire sensibilité de Bion, à l'époque d'Une Mémoire du Futur.
Sous la direction de : Francesca Bion
Traduction : Marie-Christine Réguis
Préface (édition française) : Hyatt A. Williams
80 pages 16 x 24 cm 14,48 Euros
ISBN 2-912186-05-6
Illustration de couverture : Composition 1965 Huile de Caziel (Kazimierz Jozef Zielenkiewicz) Whitford Fine Art Gallery, Londres
Préface à l'édition française
Hyatt A. Williams
Voici de belles glanures d'une déjà riche moisson des idées et écrits de Wilfred Bion. Le fait que sa fille, Parthénopé Bion Talamo, elle-même psychanalyste elle habite Turin et y travaille avec son mari, psychanalyste lui aussi ait rédigé l'avant-propos, et que sa veuve, Francesca Bion, ait collaboré à la rédaction de ce livre, témoigne de la relation chaleureuse qui existe entre elles.
Si ce livre contient quelques idées nouvelles, pour l'essentiel il suit la trace de ce qui nous est déjà familier, à savoir la façon dont Bion abordait les problèmes qui se présentaient à lui.
Pour ma part, je partage le point de vue de Parthénopé sur la première version de la grille, selon lequel celle-ci est "un modèle de clarté", et je me demande pourquoi Bion en rédigea une seconde version qui paraît beaucoup moins claire. Parthénopé suggère que ces deux versions pourraient permettre une vision binoculaire de l'utilisation et de l'expérience de la grille.
Ce court livre nous fait sans cesse entrer en contact avec ce poète de la psychanalyse qu'était Bion. Je ne sais pas s'il était lui-même auteur de poèmes, mais il pensait en termes poétiques et ressentait l'influence de la poésie. Le sentiment poétique devait l'accompagner tout au long de sa vie, inspirant ses recherches et la mise en liaison de l'ensemble de ses découvertes. A la page 47, après avoir appelé "élément-bêta" une pensée qu'il tente de comprendre, il poursuit :
" ... je demeure dans l'ignorance. Mais quoi qu'il en soit, voilà ce que j'ai trouvé, au cas où cette étrange créature existerait et surgirait à portée de ma vue".
Il s'agit d'une évocation du sonnet de John Keats intitulé 'En ouvrant pour la première fois l'Homère de Chapman' :
"Alors, je me suis senti comme un veilleur des cieux
Lorsqu'une nouvelle planète surgit à portée de sa vue"
Cette élaboration entre sentiment et réalisation se produit lorsqu'un élément-bêta se développe et se transforme en élément alpha.
Bion commente une autre citation, tirée cette fois de la pièce de Shakespeare, Cymbeline (Acte IV, Scène II) :
"Garçons et filles chamarrés doivent tous
Devenir poussière, comme les ramoneurs".
Bion nous explique que cet aphorisme, immortalisé par Shakespeare dans la strophe qu'il écrivit il y a quelque quatre siècles, est tiré des dictons populaires du comté de Warwick.
En poursuivant sa réflexion, Bion nous invite à tenir compte de la proposition inverse de tout énoncé : tel discours étant destiné à informer celui qui l'écoute, Bion pense aussitôt aux phénomènes de la désinformation et de la compréhension erronée. Il reprend à ce propos le poème d'Arthur Hugh Clough, 'A l'Ouest, le paysage paraît tout aussi éclatant' et en particulier sa phrase :
"Si l'espoir est dupe, la crainte peut être mensongère".
Bion partage le point de vue de Charcot qui, dans une phrase célèbre, nous dit qu'en cas de doute concernant tel ou tel patient, il faut examiner soigneusement le contexte global dans lequel celui-ci évolue ; dès lors, sa vraie situation pourra être comprise. Dans sa mise en oeuvre pratique de ce principe, Bion a dans beaucoup de cas obtenu de bons résultats.
La capacité à observer, à découvrir la réalité d'une situation et à y réfléchir forme l'essentiel de ce qu'il appelle la "capacité négative". Keats y fait appel dans son oeuvre que Bion aime et apprécie tant. Dans L'Attention et L'Interprétation, Bion cite le poète :
" ... je veux parler de cette faculté négative, la capacité d'être dans l'incertitude, le mystère, le doute, sans s'irriter à quêter des faits et une raison." (chap.13, p.209).
Maintenir sa tolérance de ce qui est observé, loin d'aboutir à cet effondrement psychique que Bion appelle "changement catastrophique", favorise le développement émotionnel. La nouvelle intégration du self qui en résulte pourrait être désignée par le terme de "percée" plutôt que par celui d'effondrement.
Hyatt A. Williams Londres, juillet 1998
(Traduction David Alcorn)