LE PATIENT PSYCHOTIQUE
Aspects de la Personnalité
David Rosenfeld présente dans cet ouvrage largement illustré d'exemples cliniques, les enseignements qu'il tire de sa longue pratique d'analyste auprès de patients gravement perturbés ou psychotiques ; il nous fait part de ses conceptualisations d'aspects, à la fois cliniques et théoriques, qui permettent une approche plus fructueuse, non seulement de ce type de patients, mais aussi de patients moins atteints.
"David Rosenfeld est un pionnier dans l'étude psychanalytique de la psychose de l'adulte, un domaine où sa contribution originale et puissante nous aide en particulier à mieux comprendre l'image corporelle psychotique de certains patients." Francès Tustin
"En dépit de sa présence bien assise dans l'histoire de la psychanalyse, le traitement psychanalytique de patients psychotiques reste un domaine où il y a un besoin constant de critères de base pour guider à la fois la pratique, la recherche et la théorie. David Rosenfeld, avec quelques rares autres, est quelqu'un dont le travail répond à cette tâche." André Green
"David Rosenfeld nous amène de la pratique psychanalytique vers de nouvelles élaborations théoriques pour faire retour à la pratique et valider ses hypothèses par leurs applications thérapeutiques. N'est-ce pas là l'axe même tracé par Freud dans le mouvement de sa découverte de la psychanalyse ? Chaque fois qu'ils s'en éloignent les psychanalystes se perdent en vaines querelles idéologiques, chaque fois qu'ils s'en rapprochent ils découvrent avec émerveillement la fécondité de leur méthode. Le présent ouvrage convaincra le lecteur de la fécondité de la méthode psychanalytique, lorsqu'elle est rigoureusement appliquée, dans l'exploration des psychoses ou d'autres états psychopathologiques sévère". Didier Houzel
L'auteur : David Rosenfeld, psychiatre, psychanalyste didacticien de l'association psychanalytique de Buenos Aires, est professeur de santé mentale à la faculté de médecine de l'université de la capitale argentine.
Illustration : Un dragon, un monstre, des dents, des mains, un squelette, des monstres, des lances, des flèches, des têtes ... [Un dessin du patient Aty, 15 ans]
256 pages 16 x 24 cm 24,50 Euros
ISBN 2-912186-23-4
Préface : Otto F. Kernberg Préface (édition française) : Didier Houzel
Les traductions des chapitres de cet ouvrage sont de : C. Bécand, M. Gribinski, L. Hecht ; une révision partielle du texte a été assurée par D. Alcorn et le comité de relecture des Editions du Hublot.
Préface à l'édition française
Professeur Didier Houzel
Dans leur grande majorité, les psychanalystes français ont suivi le point de vue de Freud qui considérait les psychoses comme non analysables puisque, selon le modèle économique qu'il avait proposé, le psychotique investissait la totalité de sa libido dans son narcissisme et n'en avait plus de disponible pour développer un transfert sur l'analyste. Certes, la psychose fait depuis longtemps l'objet d'un vif intérêt dans la littérature psychanalytique francophone, mais plus comme type d'organisation de la personnalité opposée aux personnalités névrotiques ou normales que comme objet d'investigation psychanalytique en soi. Le point de vue de David Rosenfeld dans cet ouvrage est totalement différent. Il s'inscrit dans la filiation de Karl Abraham, de Melanie klein et de Wilfred Bion, qui ont montré empiriquement la possibilité de traiter par la psychanalyse des patients atteints de psychoses chroniques ou aiguës et qui en ont tiré des enseignements fondamentaux pour la compréhension du psychisme et de la psychopathologie.
Dès 1912, dans "Préliminaires à l'investigation psychanalytique de la folie maniaco-dépressive et des états voisins", Karl Abraham montrait que la psychose maniaco-dépressive pouvait être traitée avec succès par la psychanalyse. L'année suivante, dans "Limitations et modifications du voyeurisme chez les névrosés", il énonçait le même point de vue au sujet de la schizophrénie.
Melanie Klein eut Karl Abraham comme second analyste et ce n'est sans doute pas un hasard si elle poursuivit l'exploration psychanalytique des psychoses aussi bien chez l'adulte que chez l'enfant. Cette exploration déboucha sur un tout nouveau modèle du développement de la psyché, centré non plus sur le conflit dipien comme dans le modèle freudien, mais sur une position dépressive centrale succédant à une position schizo-paranoïde. Ces positions kleiniennes sont organisées selon des modèles de fonctionnement psychotique : la première s'apparente au fonctionnement mélancolique, la seconde au fonctionnement schizophrénique. Ce renversement de perspective ouvrait la voie à l'exploration des psychoses, mais il pouvait aussi choquer des psychanalystes attachés à défendre, fidèles en cela à Freud, la place centrale du conflit dipien et de la névrose de transfert dans le travail d'investigation psychanalytique. Bien des analystes français se sont illustrés dans la défense du point de vue freudien en l'opposant, peut-être de manière trop systématique, aux apports de Melanie Klein. La pénétration dans notre pays des travaux sur la psychanalyse des psychoses s'en est trouvé entravée.
Ce débat devrait être dépassé depuis l'article fondamental de Wilfred Bion sur la "Différenciation de la part psychotique et de la part non psychotique de la personnalité" (1957), où l'auteur met en évidence la coexistence dans toute personnalité d'une partie fonctionnant sur un mode psychotique et d'une partie fonctionnant sur un mode névrotique ou normal. L'expression clinique des troubles ne dépend plus dès lors d'un choix binaire entre psychose et non psychose, mais d'un rapport de domination des parties psychotique et non psychotique de la personnalité.
C'est dans cette ligne de pensée que David Rosenfeld décrit les "aspects psychotiques de la personnalité". Il les a rencontrés dans différentes situations psychopathologiques : chez des psychotiques bien sûr, mais aussi chez des patients psychosomatiques, chez des toxicomanes, dans les caractères impulsifs, dans certaines conditions médicales comme les greffes de cur, chez des descendants de victimes de la Shoah, etc. Chacune de ces situations est largement illustrée par des exemples cliniques tirés de sa propre pratique psychanalytique ou de cas qu'il a supervisés.
La richesse et le détail des cas rapportés permet au lecteur de s'identifier au travail de l'analyste confronté à ce que Herbert Rosenfeld (1954) avait appelé la psychose de transfert : le psychotique tend à pénétrer l'analyste par une identification projective massive des parties positives ou négatives de son self ; cette identification projective appauvrit ses fonctions du moi, pensée, compréhension, etc. Le psychanalyste ne peut repérer cette psychose de transfert et l'interpréter qu'en étant très attentif à son vécu contre-transférentiel, qu'il lui faut élaborer en permanence. Le contre-transfert doit être compris ici dans le sens introduit par Paula Heimann en 1949, c'est-à-dire la totalité de la réaction de l'analyste à son patient, totalité dans laquelle il doit minutieusement faire le tri entre ce qui chez lui est suscité comme résistance par la relation à son patient et ce qui est projeté en lui de la personnalité du patient, partie idéalisée à protéger d'une destructivité interne, partie en souffrance à réparer, partie non née en attente d'une matrice ou d'un contenant psychique.
L'exploration psychanalytique des aspects psychotiques de la personnalité a depuis le début été particulièrement fécond pour enrichir et parfois pour renouveler le corpus métapsychologique. Les investigations de Karl Abraham sur la psychose maniaco-dépressive ont été la source des travaux de Freud sur le deuil, la mélancolie, l'incorporation et l'identification, et indirectement celle de la deuxième topique. Les investigations de Melanie Klein ont été à l'origine de tout son modèle métapsychologique comme je le rappelai plus haut. Celles de Wilfred Bion ont débouché sur sa théorie de la pensée. Les travaux de David Rosenfeld confirment la fécondité théorique de l'exploration du monde psychotique. L'apport théorique de cet ouvrage est là pour en témoigner. L'auteur y apporte des contributions théoriques essentielles dans deux domaines : le premier est celui de l'image du corps, le second celui de la communication linguistique.
Dans son étude de l'image du corps, l'auteur se rattache aux travaux princeps de Paul Schilder, mais plus encore à ceux d'auteurs qui se sont consacrés à l'exploration des psychoses et de l'autisme chez l'enfant : Donald Winnicott, Esther Bick, Frances Tustin. Cette exploration a montré les profondes anomalies de la construction de l'image du corps chez ces enfants, et en particulier de la construction des frontières de cette image, dénommées peau psychique par Esther Bick, moi-peau ou enveloppe psychique par Didier Anzieu. David Rosenfeld a mis en évidence une forme pathologique de l'image du corps, typique de la partie psychotique de la personnalité, qu'il a dénommée image corporelle psychotique primitive. Dans cette configuration particulière, l'image du corps n'a plus de frontière propre, elle s'organise sur le mode d'un réseau artériel ou veineux, rempli d'une substance liquide (peut-être gazeuse dans certains cas) qui menace à tout moment de s'écouler à l'extérieur et de vider le monde psychique du sujet de toute vie. A l'inverse, dans le processus de la cure, la nature liquidienne des contenus de l'image du corps fait place peu à peu à des aspects plus consistants, plus solides et plus stables, ce qui permet de suivre pas à pas les progrès de la cure. La description de l'image corporelle psychotique primitive est un apport majeur à la théorie psychanalytique de la psychose ou de la partie psychotique de la personnalité. Son application à l'étude de certains états psychosomatiques ou à celle de certaines conduites toxicomaniaques s'est montrée particulièrement féconde, comme en témoigne plusieurs chapitres de cet ouvrage. L'image corporelle psychotique primitive s'inscrit sur un axe qui va du chaos total d'un self complètement morcelé, à l'image unifiée et stable d'un self mature et sain résultant d'un processus de stabilisation des turbulences émotionnelles et pulsionnelles qui agitent mais en même temps animent le monde psychique primitif. De la qualité de la relation du self à un contenant capable de détoxiquer les projections qu'il reçoit, c'est-à-dire de stabiliser ces turbulences en des représentations permanentes, dépendra la possibilité de construire une image du corps plus ou moins complète et étanche, qu'il s'agisse du développement de l'enfant dans les relations à ses objets parentaux ou de la cure d'un patient en analyse.
L'autre apport théorique de David Rosenfeld se trouve dans la référence qu'il fait à la communication verbale et à ses distorsions dans la cure. Il s'appuie pour cela sur les distinctions des sémioticiens entre aspect syntaxique, aspect sémantique et aspect pragmatique du langage. Chacun de ces aspects peut faire l'objet d'une distorsion dans la communication entre l'analysant et l'analyste. Les constructions syntaxiques, les mots et les expressions, les effets voulus sur l'interlocuteur sont soumis à des déformations plus ou moins profondes venant de la part psychotique de la personnalité. L'analyste doit apprendre à repérer ces distorsions. Parfois, il devra les interpréter pour autant que le matériel et que le transfert s'y prêtent, parfois il devra attendre patiemment le moment propice à une telle analyse. La qualité empathique de la communication du thérapeute avec son patient est ici essentielle.
David Rosenfeld nous amène ainsi de la pratique psychanalytique vers de nouvelles élaborations théoriques pour faire retour à la pratique et valider ses hypothèses par leurs applications thérapeutiques. N'est-ce pas là l'axe même tracé par Freud dans le mouvement de sa découverte de la psychanalyse ? Chaque fois qu'ils s'en éloignent les psychanalystes se perdent en vaines querelles idéologiques, chaque fois qu'ils s'en rapprochent ils découvrent avec émerveillement la fécondité de leur méthode. Le présent ouvrage convaincra le lecteur de la fécondité de la méthode psychanalytique, lorsqu'elle est rigoureusement appliquée, dans l'exploration des psychoses ou d'autres états psychopathologiques sévères.
Didier Houzel – Caen , mars 2005