Fermer la 4ème de couvertureCollection Psychanalyse
L'Âme, le Psychisme et le Psychanalyste
Dans cet ouvrage, David Rosenfeld rapporte divers cas cliniques qui ont pour facteur commun la façon dont se crée le cadre psychanalytique : la prise de conscience et l'intériorisation, dans le psychisme du patient, de l'idée de l'heure fixe de sa séance et la relation transférentielle qui se développe dans la cure. L'auteur nous guide pas à pas à travers le terrain mystérieux du psychisme de l'être humain, notamment dans ses aspects les plus régressés, archaïques et psychotiques.
Dans son avant-propos, Thomas Ogden a choisi d'explorer en détail deux chapitres qui représentent à ses yeux «des apports parmi les plus significatifs de la dernière décennie pour la compréhension des enjeux du traitement psychanalytique du patient psychotique».
Le lecteur est invité à ressentir au fond de lui-même le matériel rapporté et à y réfléchir. Il est incité à lire entre les lignes, à imaginer et à éprouver au-delà des mots écrits sur la page. Ce livre sera lu avec intérêt par les psychanalystes, les psychothérapeutes, les étudiants en formation.
«... David Rosenfeld nous impressionne de nouveau en mettant en lumière ce que très peu de nos pionniers ont su nous montrer : la possibilité que nous donne la psychanalyse au sens le plus fondamental du terme de venir en aide au patient profondément psychotique.» Robert S. Wallerstein
«David Rosenfeld est un psychanalyste d'exception et cela à plus d'un titre. Exceptionnelle est sa capacité à traiter par la psychanalyse la souffrance psychique sous toutes ses formes. Exceptionnels sont son courage et son dévouement pour accompagner des patients en états de détresse et de régression profondes. Exceptionnelle son empathie qui le fait entrer en résonance avec les couches les plus archaïques de la psyché. Exceptionnel son talent pour nous faire partager les aventures psychanalytiques dans lesquelles il s'est engagé avec ses patients. Exceptionnelle, enfin, sa liberté de penser qui lui permet des avancées théoriques déterminantes.»
Didier Houzel
Médecin psychiatre, psychanalyste didacticien de l'association psychanalytique de Buenos Aires, David Rosenfeld est professeur de santé mentale à la faculté de médecine de l'université de la capitale argentine. Pour sa contribution à la psychanalyse, il a reçu le Mary Sigourney Award [1996] et le Hayman Prize [2007].
ISBN 2-912186-33-1 24,60 Euros
Editions du Hublot www.editionsduhublot.com
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Préface à l'édition française
Didier Houzel
David Rosenfeld est un psychanalyste d'exception et cela à plus d'un titre. Exceptionnelle est sa capacité à traiter par la psychanalyse la souffrance psychique sous toutes ses formes. Exceptionnels sont son courage et son dévouement pour accompagner des patients en états de détresse et de régression profondes. Exceptionnelle son empathie qui le fait entrer en résonance avec les couches les plus archaïques de la psyché. Exceptionnel son talent pour nous faire partager les aventures psychanalytiques dans lesquelles il s'est engagé avec ses patients. Exceptionnel, enfin, sa liberté de penser qui lui permet des avancées théoriques déterminantes.
S'il fallait une preuve de la compatibilité d'une stricte rigueur psychanalytique avec un engagement émotionnel profond, c'est dans les récits qui nous sont rapportés dans L'âme, le Psychisme et le Psychanalyste, qu'on la trouverait. «On peut se demander s'il est possible de se maintenir en tant que psychanalyste dans les confins stricts d'un scientisme froid» se demande Rosenfeld. La réponse est apportée par les récits mêmes qu'il nous donne. Non seulement le psychanalyste ne doit pas s'abriter derrière un «scientisme froid», mais il ne peut faire œuvre d'analyste que dans la mesure où son empathie consciente et son contre-transfert inconscient lui permettent d'entrer en résonance avec le noyau du Self de son patient. J'appelle «empathie consciente» (Einfühlung) la capacité de l'analyste de se mettre «à la place» de son patient pour sentir consciemment à l'intérieur de lui-même ce que son patient ressent. Freud en faisait un moyen essentiel de la connaissance du psychisme d'autrui. J'appelle «contre-transfert inconscient» la prise de conscience après-coup d'un état psychique de l'analysant qui jusque-là s'était trouvé masqué à la conscience aussi bien du patient que de l'analyste. La conjugaison de l'empathie et de l'élaboration du contre-transfert met l'analyste dans les meilleures conditions pour promouvoir le processus thérapeutique.
Je fais là un rapprochement hasardeux entre psychanalyse et thérapeutique qui pourrait surprendre le lecteur français. Pourtant il est clair que Rosenfeld a un permanent souci thérapeutique tout en restant un psychanalyste rigoureux. C'est pour nous une double leçon. Première leçon : si nous devons nous soucier de traiter, c'est parce que les analysants nous adressent une demande thérapeutique, ils viennent nous voir parce qu'ils souffrent psychiquement et ils cherchent auprès de nous un soulagement. Certes, il nous faut éviter la furor curandi que dénonçait Freud, qui pourrait nous rendre aveugle à la complexité des phénomènes que nous explorons et viser un soulagement immédiat illusoire parce que court-circuitant un authentique processus d'élaboration et de développement psychique. Mais, le même Freud1 ne nous disait-il pas que l'un des intérêts de la psychanalyse était de soigner. Une deuxième raison de se soucier des effets thérapeutiques de notre art est qu'il s'agit là du seul champ de validation des théories métapsychologiques. Cet argument épistémologique n'est pas des moindres. Hors des effets sur la croissance psychique et l'amélioration du fonctionnement mental, nous n'avons aucun moyen de valider nos modèles et nos théories. Ce n'est pas parce que la psychanalyse, à la différence d'autres formes de psychothérapie, n'a pas une visée symptomatique immédiate, qu'elle doit renoncer à toute action thérapeutique. Freud n'hésitait pas à comparer nos théories à des délires systématisés en soulignant, toutefois, que la distinction entre théorie et délire était l'épreuve de réalité. Pour la psychanalyse l'épreuve de réalité se trouve dans sa capacité à soulager la souffrance mentale, à améliorer le fonctionnement psychique, à favoriser le développement de la personnalité. David Rosenfeld se réfère aux modèles qui lui paraissent le mieux à même de remplir ces fonctions sans a priori idéologique. Trop souvent la dimension thérapeutique de l'analyse est mise au second plan, quand elle n'est pas purement et simplement déniée. Certes son but n'est pas d'éradiquer le ou les symptômes, mais de les analyser et de leur donner sens. L'économie particulière au fonctionnement psychique fait qu'un symptôme disparaît lorsqu'il laisse place au sens qu'il contenait. Retirer à l'aventure psychanalytique sa finalité curative, c'est la priver de sa légitimité et de son domaine de validité.
Le lecteur français ne manquera pas d'être surpris au récit de visites à domicile (cf. Le cas d'Abélard), de partage de jeux vidéo (cf. le cas de Lorenzo, p.81), de participations de l'analyste à des mesures institutionnelles (hospitalisations, prescriptions médicamenteuses). Le cadre proposé par l'auteur s'adapte au patient à certains moments de la cure. S'agit-il de transgression, de perte de rigueur ? Je ne le crois pas. J'y vois plutôt une souplesse technique, une «élasticité» pour reprendre le terme de Sandor Ferenczi2, souplesse qui permet de tenir compte du niveau de régression du patient et ainsi peu à peu de l'amener à s'adapter au cadre strict des séances et à tolérer la nécessaire frustration imposée par le travail de pensée. Il faut savoir parfois adapter le cadre au patient pour atteindre sa souffrance et gagner sa confiance, tout comme la mère doit s'adapter à son enfant pour qu'il puisse s'adapter peu à peu aux contraintes extérieures.
La technique d'interprétation à laquelle se réfère l'auteur emprunte la voie ouverte par Melanie Klein et poursuivie par Wilfred Bion et les post-kleiniens. David Rosenfeld fut l'élève d'Harold Searles et d'Enrique Pichon Rivière, deux psychanalystes pionniers dans le champ de la psychose et des états limites. C'est en se fondant sur la théorie de la relation d'objet que ce courant de la psychanalyse a réussi des percées décisives. L'objet, dans cette théorie, n'a pas pour seule fonction de satisfaire les besoins pulsionnels, mais aussi de donner sens aux éprouvés archaïques. N'est-ce pas d'abord cette fonction qui a manqué au psychotique et que l'analyste a pour devoir de lui apporter ? Le névrotique souffre essentiellement des frustrations qu'il a subies, le psychotique essentiellement d'une absence de communication avec un objet doué de «capacité de rêverie» et pourvoyeur de sens.
On est impressionné par la capacité de David Rosenfeld à recevoir les projections les plus violentes, à les contenir, à les élaborer, à les interpréter. Les résultats sont éloquents. De son exploration des patients psychotiques ou borderline et des parties psychotiques de la personnalité d'autres patients, David Rosenfeld a extrait deux concepts essentiels qui éclairent le fonctionnement des couches les plus primitives de notre psyché : le concept de «capsule autistique» et le concept d'«image psychotique du corps».
Il suggère que, à la suite de traumatismes psychiques particulièrement violents, des parties précieuses du Self se trouvent encapsulées et de ce fait inutilisables et inutilisées tant qu'une analyse minutieuse de ce processus d'encapsulation autistique ne les a pas libérées de leur prison. Sydney Klein3 (1981), s'appuyant sur les travaux de Frances Tustin, avait mis en évidence des phénomènes proches de cette encapsulation autistique. Frances Tustin4 (1986) avait d'abord parlé d'enclaves autistiques avant de parler de «barrières autistiques». Elle faisait de ces barrières des entraves au processus de symbolisation.
Il semble y avoir une différence entre la conception de Frances Tustin et celle de David Rosenfeld. Pour la première, l'encapsulation est essentiellement un obstacle, pour le second elle est avant tout une protection. L'exemple le plus clair d'encapsulation autistique est celui d'Abélard, gravement traumatisé dans sa petite enfance par l'arrestation brutale de ses parents et leur disparition, qui retrouve en séance des chansons enfantines que lui chantait son entourage à l'époque de cet événement dramatique et que l'analyste entonne avec lui. Encapsuler n'est pas refouler. Il n'y a pas dans l'encapsulation de conflit entre des représentations acceptables par le Conscient et des représentations incompatibles. Il y a une sorte de gélification qui empêche le Self d'être en contact avec ces parties encapsulées, mais qui en même temps les préserve d'une destruction définitive, un peu comme l'on conserve des tissus vivants en les refroidissant à très basse température.
Je crois utile de faire appel au concept de «césure» défini par Wilfred Bion et à la notion de traversée de la césure pour comprendre les points de vue respectifs de Frances Tustin et de David Rosenfeld. Pour Bion tout passage d'un état psychique à un autre constitue une «césure» dont le paradigme est ce que Freud avait appelé «l'impressionnante césure de la naissance». Ce qui précède la césure doit être transformé, réécrit, traduit, pour que la césure soit franchie. Sinon cela reste à l'état de vestiges inassimilables comme les vestiges embryologiques qui ont perdu toutes fonctions. Il me semble que les «barrières autistiques» de Frances Tustin constituent des obstacles au franchissement d'une telle césure ce qui prive le Self du développement de ses parties restées en deçà de la césure. Tustin insiste sur ce rôle d'obstacle, de barrière. David Rosenfeld de son côté insiste sur la richesse potentielle des parties du psychisme arrêtées par les barrières autistiques, richesse qui se manifeste lorsque l'obstacle peut être franchi et que la césure peut être traversée.
L'image psychotique du corps a déjà été décrite par David Rosenfeld (1992b). Elle correspond à un stade du fonctionnement psychique psychotique où les contenus du corps sont ressentis comme purement liquide, sans consistance solide. L'angoisse dominante est de se vider de son contenu par un écoulement, une hémorragie catastrophique. La représentation d'une paroi qui retient les liquides internes vient compléter cette image du corps. Parfois la représentation de cette paroi se fait sous la forme d'un réseau de canaux, sorte de système vasculaire sensé abriter les contenus corporels mais sans cesse menacé d'effraction, source d'angoisse d'écoulement. Cette description d'une image psychotique archaïque du corps est largement illustrée par du matériel clinique.
Ce n'est pas un hasard si l'auteur de cet ouvrage dont la richesse clinique, technique et théorique est remarquable, cite souvent en exergue un grand poète, Shakespeare surtout, Jorge Luis Borges souvent, quelques autres parfois.
L'exploration psychanalytique des profondeurs de l'esprit dans laquelle il nous invite avec un tel brio semble nous guider vers les sources de la créativité artistique, peut-être aussi de la créativité scientifique.