ÉTUDES POUR UNE MÉTAPSYCHOLOGIE ÉLARGIE
Applications Cliniques des Idées de Wilfred R. BION
4ème de couverture
Après ses études de médecine à l'Université de New York et sa spécialisation en psychiatrie adulte et enfant, Donald Meltzer s'installe à Londres en 1954 pour achever sa formation de psychanalyste sous l'égide de Melanie Klein. Travaillant en étroite collaboration avec Wilfred Bion, Roger Money-Kyrle, Esther Bick et Martha Harris son épouse, il va enseigner à la Tavistock Clinic pendant plus de vingt années et à l'Institut de Psychanalyse, et donner jusqu'à la fin de sa vie de nombreuses lectures et conférences à travers le monde.
Profondément influencé par les idées de Wilfred R. Bion, Donald Meltzer consacra dès 1978 la troisième partie de son ouvrage, Le Développement Kleinien de la Psychanalyse, à souligner l'importance clinique de l'oeuvre de Bion, un travail qu'il complète en 1986 en publiant Études pour une Métapsychologie Élargie.
Ce livre, qui peut être lu comme un vade-mecum des écrits et des conférences de Bion, se présente sous la forme d'un recueil de textes cliniques ; leur lecture révèle clairement que Meltzer, en s'imprégnant progressivement du modèle bionien de l'appareil psychique, modifia profondément son approche clinique, notamment sa conception de la technique et de l'interprétation.
Ont collaboré à la rédaction de certains chapitres : Mariella Albergamo, Eve Cohen, Alba Greco, Martha Harris, Susanna Maiello, Giuliana Milana, Diomira Petrelli, Maria Rhode, Anna Sabatini Scolmati, Francesco Scotti.
250 pages 16 x 24 cm 24 Euros
ISBN 2-912186-26-9
Sommaire
Introduction
1 Champ ou phase ? Débat sur les modes de pensée psychanalytiques
2 Qu'est-ce qu'une expérience émotionnelle ?
3 Un modèle kleinien et bionien pour l'évaluation des états psychosomatiques
4 L'appareil proto-mental et les phénomènes somato-psychiques
5 La distinction entre les concepts d'identification projective (Klein) et de "contenant-contenu" (Bion)
6 Utilisation clinique du concept de "vertex" Multiplication des vertex comme méthode d'épreuve de la réalité
Déplacement des vertex comme moyen de défense
7 Les limites du langage
8 Des faits et des histoires inventées
9 Enquête sur le mensonge Sa genèse et ses rapports avec l'hallucination
10 "Transformations dans l'hallucinose" Application clinique du concept de Bion
11 "Renversement de la fonction alpha" Application clinique du concept de Bion
12 Les psychoses de la petite enfance Explorations dans le Monde de l'Autisme : dix ans après
13 Un enfant d'un an à la crèche Parabole pour une époque de confusion
14 Configurations familiales et éducabilité culturelle
15 De la perception de ses propres attributs Sa relation avec le développement du langage
16 De la turbulence
17 Diatribe à la manière de Jonathan Swift
18 Dénouement
Introduction
En imposant encore un livre, je devrais peut-être, plutôt que m'excuser, lancer une mise en garde. Au début d'un travail d'écriture, les angoisses de persécution prédominent. La crainte de ne produire qu'un texte sans intérêt, de mal interpréter les idées précieuses d'autres auteurs et de les déformer, de mal employer la langue anglaise, d'embarrasser ses amis - toutes ces préoccupations font que l'écriture est un supplice. Néanmoins, l'ambition, une tournure d'esprit contraphobique, le défi lancé à nos persécuteurs internes, sans oublier l'espoir, nous encouragent à poursuivre.
Nous voilà donc au stade du "Donc, par la suite" - l'Acte III, pourrait-on dire ; s'il n'est pas encore clair que la pièce se veuille comédie ou tragédie, le drame de la vie du personnage principal a déjà pris forme. À l'intérieur de nous, il y a constamment une petite voix pour nous promettre : "C'est le dernier paiement que tu as à verser pour ce que tu as reçu. "La persécution s'est envolée, les limites de l'auteur sont désormais claires. Il s'agit désormais de se libérer d'un fardeau - des "accrétions de stimuli" ? Non, avec un peu de chance. Néanmoins, si la transmission de sa propre perception de la vision de génie peut ressembler à un écrit testamentaire, il s'agit en fait d'un fidéicommis imposé à ceux qui ne se méfient pas assez. Car les visions de génie ont des "hameçons" qui accrochent notre cur grâce à la beauté perçante de leur conception ; notre vision du monde s'en trouve transformée. Des changements catastrophiques se cachent dans ces pages et en fond sonore on entend la complainte : "Je ne serai plus jamais le même".
Le problème posé par son propre fidéicommis est d'éviter d'être apostolique ; il faut seulement chercher à aider les autres et à leur permettre de lire l'uvre de génie, en évitant de la prendre pour parole d'évangile. J'ai essayé d'éviter cet écueil dans la troisième partie de mon livre Le Développement Kleinien de la Psychanalyse en insistant sur ce que j'appellerais la Position Wittgensteinienne - "Mes idées sont embrouillées". Dans cet ouvrage-ci, je tente une approche différente, à savoir : "Voici comment ce thème s'est présenté à moi dans mon cabinet de consultation".
Par conséquent, la structure de ce livre est quelque peu décousue : comme dans un village alpin, la place de chaque structure dépend étroitement de ce qu'il y a en-dessous. Chaque texte, chaque chapitre, m'a été imposé par des expériences cliniques palpitantes ; par conséquent, chaque intertitre possède son propre préambule qui fait référence à la vision de Wilfred R. Bion pour qui le psychisme est un appareil, non seulement pour créer des pensées afin de représenter les vécus émotionnels, mais aussi pour utiliser ces pensées afin de réfléchir à ce qu'il en est du vécu correspondant. Si je les ai ordonnés selon une certaine logique interne, les chapitres de ce livre sont raccordés les uns aux autres de façon assez souple, voire quelque peu arbitraire.
Ayant parcouru la page de garde, le lecteur aura compris que bon nombre des plus exemplaires de ces expériences cliniques m'ont été présentées dans un contexte de formation ou de supervision, alors que j'écoutais le matériel clinique rapporté par des collègues plus jeunes. Avec leur autorisation, je cite leur matériel sans pratiquement y introduire la moindre modification. Un des avantages à avoir un tel matériel à partager est le suivant : dans notre champ psychanalytique, il y a toujours le problème de l'éventuelle évocation d'une problématique de la part de l'analyste et de l'acquiescement du patient - c'est ce que Freud a appelé "les rêves qui font suite". Il est utile de pouvoir démontrer que le "niveau" Bionien - la possibilité de contempler l'échange psychanalytique à partir d'un "vertex" - est présent dans chaque cabinet de consultation. D'ailleurs, pourquoi limiter cette possibilité à ce seul cadre ? Elle est présente dans toute interaction entre êtres humains.
Néanmoins, le "niveau" ou "vertex" bionien n'est pas identique au vocabulaire que nous employons quand nous cherchons à le décrire. Le langage parlé, avec son accompagnement chant-et-danse, est évocateur dans sa transmission. Le discours écrit par des mains dépourvues de poésie ne possède aucune partition musicale ; il n'a qu'un libretto. La vision du génie est spatiale, tactile, musicale ; du point de vue temporel, elle tend vers l'avant tout en remontant en arrière ; elle est délicieuse et piquante. Était-ce une plaisanterie de la part de Bion quand il l'appela "le bon sens commun" ? Si le fait que nous ne pouvons transmettre certaines choses en raison du manque de relief de la prose écrite doit être accepté comme une limitation, nous pouvons nous efforcer d'éviter de créer aussi bien des confusions linguistiques nouvelles et redondantes que des complications superfétatoires.
La plus importante de ces confusions renvoie à la longue histoire de la lutte philosophique concernant le sens et l'intention. Il me semble qu'en ce qui concerne la vie psychique la distinction que nous devons à Bion entre le proto-mental (asymbolique, nominatif, extérieurement factuel, quantitatif) et le mental (émotionnel, symbolique, orienté vers l'intérieur, qualitatif, esthétique) a beaucoup clarifié ce débat. À la frontière entre proto-mental et mental, il a placé un concept hypothétique et "vide" : la fonction alpha, c'est-à-dire le processus mystérieux - peut-être est-il mystérieux de par son essence même - de la formation du symbole. Si dans le langage que nous employons nous restons fidèles à cette différenciation, il nous faudra réserver le mot "sens" à la représentation des états émotionnels par les symboles créés par la fonction alpha pour être utilisés dans la construction des pensées du rêve. Les mots employés pour nommer les faits du monde extérieur, les signes conventionnels utilisés pour communiquer, ont alors pour tâche de "signifier" ; en d'autres termes, ils ont une "signification". Les constructions grammaticales obéissent aux lois de la logique et sont basées sur le monde externe de la causalité ; c'est un univers à caractère fini dans lequel la quantité est perceptible et la quantification pour le moins utile. Il peut sembler dommage de livrer un mot aussi joli que "signification" à cette fonction moins poétique, mais le fait que la racine même du mot contient l'idée de "signe" ne nous laisse pas de choix. Comment, dès lors, donner expression aux ramifications du "sens" ? Je suggérerais l'emploi d'un des mots "portée" ou "importance", car ils impliquent l'idée que quelque chose a été introduit par un acte d'imagination. Après tout, c'est pour ce vaste domaine qu'est l'imaginaire que nous essayons de construire un vocabulaire précis. Il nous reste à situer le mot ambigu de "sentiment" ou "ressenti". Dans la mesure où ce mot renvoie à une émotion, son cadre référentiel paraît être différent de celui qu'implique l'idée d'intuition. À mon avis, cependant, les deux notions ont un lien très étroit entre elles. Quand nous disons "J'ai le sentiment que", nous voulons dire, me semble-t-il, quelque chose comme "Je ressens une émotion que je suis incapable de nommer, je ne peux que la définir en termes d'un fantasme du type comme si". Bion a pu employer le mot "pressentiment" dans le sens de l'anticipation non seulement d'un fait réel mais aussi d'une émotion qui n'a pas encore pris forme. Le lecteur trouvera une exploration de l'arrière-plan de ces distinctions linguistiques dans le chapitre 2 - "Qu'est-ce qu'une expérience émotionnelle ?"
En me référant aux données cliniques, je dirais que la fonction alpha vise sans relâche à trouver des représentations à nos vécus émotionnels, si toutefois nous pouvons les tolérer. Il n'en reste pas moins que la structure de personnalité de l'individu, avec son armure et son blindage - les configurations conventionnelles de ses réactions -, intervient souvent pour empêcher le plein déroulement de ce processus. Ce qui est observé n'est pas mis à disposition ; il est rapidement enveloppé dans des descriptions conventionnelles, à la manière d'un quotidien journalistique. Je retrace ce processus au chapitre 8, "Des faits et des histoires inventées". Bion a mis l'accent sur le rôle fondamental de l'observation des faits, aussi bien des phénomènes et événements du monde extérieur que des réactions produites intérieurement, afin de nous mettre implicitement en garde contre toute transformation prématurée à l'aide du langage, que ce soit dans notre cabinet de consultation ou ailleurs.
Le problème de la tolérance vis-à-vis des processus psychiques et de la douleur qu'ils occasionnent fait aussi partie de la mise en route de la fonction alpha. Ses produits naissants peuvent être cannibalisés par un renversement de la fonction alpha" pour donner lieu à ce que Bion appelle "des éléments bêta avec des traces du moi et du surmoi". Ce processus est examiné ici en détail à partir du chapitre correspondant publié dans le Livre III de mon Développement Kleinien de la Psychanalyse. Ce sont ces éléments bêta avec des traces du moi et du surmoi - j'espère que le lecteur me pardonnera l'emploi du terme "b-e-t-e-s" [beta-elements with traces of ego and superego] pour désigner ceux-ci - qui donnent matière aux hallucinations et à la formation de délires, selon la formulation de Bion, comme je le décris ci-dessous dans le chapitre consacré à l'hallucinose (voir pages 123 à 134 ci-dessous).
Prolongeant sa division personnelle du psychisme en structures proto-mentale et mentale, Bion établit une distinction entre un appareil qui devra "se décharger des accrétions de stimuli" et un autre qui devra faire face à la "pression des pensées". L'appareil proto-mental doit initier des actions soit dans le monde extérieur (le monde social, conformément au groupe des Hypothèses de Base) soit à l'intérieur de l'organisme physiologique (les états psychosomatiques), soit en inversant les fonctions des organes des sens (hallucinose). Par contre, l'appareil mental doit se retenir de déclencher des actions afin de contenir les processus grâce auxquels les innombrables pensées peuvent s'organiser et se développer dans l'activité de pensée. Tout se passe comme si l'individu n'avait recours à l'action que lorsque la communication et la réflexion avaient atteint leurs limites. La distinction entre le concept kleinien de l'identification projective en tant que mécanisme de défense et l'idée bionienne selon laquelle la relation contenant-contenu fait partie de l'appareil à penser est explorée au chapitre 5 ci-dessous.
La précocité de la mise en route de cette interaction entre mental et proto-mental pour se disputer, si l'on veut, l'âme de l'enfant, est illustrée au chapitre 8, qui rapporte l'observation d'un enfant âgé d'un an en halte-garderie. Ce petit drame sert à mettre en lumière le problème fondamental de la fonction de la vérité, entendue comme "le sens véritable de [mon] vécu émotionnel", avec toutes les limitations solipsistes que cela implique. En développant sa distinction entre les valences positives et négatives des émotions (L, H, K / -L, -H, -K), Bion pose les bases d'une nouvelle approche de la vérité et de la compréhension par opposition à la non-vérité et à la compréhension erronée. Ces thèmes sont abordés au chapitre 6 - "Le concept de vertex : multiplication ou déplacement ?", au chapitre 7 - "Les limites du langage" et au chapitre 9 - "Enquête sur le mensonge", ce dernier étant une tentative de différencier la non-vérité de la "fiction" décrite au chapitre 8.
Le dernier pas fut franchi par Bion dans le Livre III de son ouvrage Une Mémoire du Futur, dans lequel il montre comment la structure de la personnalité reflète - et est reflétée par - les structures sociales dans lesquelles nous vivons. La césure de la naissance, comme il la nomme, avec sa tendance à laisser clivées et hors de toute communication des parties de l'organisation prénatale du psyché-soma, voire cette organisation tout entière - c'est ce qu'il appelle la partie "somato-psychique" de l'individu - nous empêche d'observer l'émotionnalité naissante. Tout se passe à un niveau somatique car cette émotionnalité n'a pas encore trouvé de représentation psychique (le "Ça" de Freud en tant que représentation psychique des tensions corporelles). Cette indisponibilité des données émotionnelles potentielles impose des limites considérables à notre capacité à penser, comme nous pouvons le constater chez l'enfant dont le développement a connu un arrêt majeur. L'approfondissement de notre compréhension de la situation dramatique dans laquelle se trouvent de tels enfants et les interventions thérapeutiques possibles sont présentées au chapitre 12, tandis que l'impact global de cet état sur les problèmes pédagogiques et éducatifs, à la fois à l'école et en milieu familial, est exploré au chapitre 14.
Le message qui en fin de compte est celui de l'oeuvre de Bion est que le développement est un bonheur. La balance des paiements fictive entre plaisir et déplaisir n'a que très peu à voir là-dedans, car chaque étape du développement nécessite que l'on apprenne "aux sources de l'expérience" et que l'on traverse un "changement catastrophique". Ce dernier est traité dans ses grandes lignes au chapitre 16 - "De la turbulence". Le chapitre 15 - "De la perception de ses propres attributs et sa relation avec le développement du langage" - explore les limites de l'auto-observation et le pouvoir de l'introspection lorsqu'il s'agit de pénétrer dans les processus inconscients de la vie psychique. Le chapitre 17 relève peut-être d'une complaisance impardonnable envers moi-même et devra être considéré comme un moment de pure détente.