Création et Métamorphoses dans les Soins de l’Enfant
Dans cet ouvrage, l’auteur propose au lecteur un voyage assez inhabituel. Le monde de l’institution de soin pour enfants en souffrance psychique sort de son registre factuel, de ses définitions formelles, pour apparaître au fil du temps, comme une toile complexe d’émotions, de tensions, que la pensée psychanalytique va s’efforcer de contenir, de transformer.
La vie psychique des soignants, soumise aux projections souvent violentes des enfants, élabore ses turbulences, de supervisions en échanges groupaux, pour permettre l’accès à la pensée.
La créativité, l’attention, l’observation, sans cesse encouragées par l’engagement d’Anastasia Nakov, chef de service porteur d’un souffle créatif, autorisent une ouverture constante où s’allient souplesse et rigueur. Le processus psychanalytique s’apparente alors à une respiration, de flux en reflux, entre contenance et transformation, accompagnant soignants et soignés dans un même élan de croissance psychique.
A l’heure où la pensée apparaît souvent menacée dans les services de soins, Anastasia Nakov nous offre là le témoignage d’une psychanalyse vivante, tournée vers la clinique, qui impose sa valeur par la qualité de son travail, sans besoin de la justifier.
L'auteur : Anastasia Nakov est pédopsychiatre, psychanalyste, ancien chef de service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, membre du comité éditorial du Journal de la Psychanalyse de l’Enfant (ancienne et nouvelle séries), auteur de nombreuses publications.
Illustration : Apollon et Daphné (Le Bernin 1622-1625) – Galerie Borghèse (Rome)
Sommaire
Introduction
Remerciements
Présentation
1 – Les origines du secteur
2 – Les modèles théoriques remis en question dans le traitement des atteintes psychiques graves
3 – Les différentes unités thérapeutiques
L’internat Service pour enfants arriérés profonds L’hôpital de jour L’unité de soins pour jeunes enfants L’équipe du centre médico-psychologique D.W. Winnicott Centre d’accueil pour la santé des adolescents
4 – Le travail thérapeutique avec les enfants et leur famille
Le travail thérapeutique avec les enfants Le travail thérapeutique avec les enfants et leur famille Le cadre : sa fonction contenante et séparatrice Le travail thérapeutique avec les familles Les entretiens familiaux La thérapie familiale psychanalytique
5 – Des soignants communs aux différentes structures du secteur
L’art-thérapie La psychomotricité
6 – Un jalon particulier : l’école
7 – Travail et formation
Travail et efforts de formation La formation par le psychodrame psychanalytique
8 – Le travail en réseau et la création de l’association ARPPE
9 – Le Travail de partenariat avec les professionnels de la Prévention Maternelle Infantile
10 – La souffrance institutionnelle
Unification et différenciation Accueil des nouveaux L’innovation
11 – L’institution est un objet hétérogène
L’institution est une création du socius Désir et pouvoir Désir de soigner
12 – Le lien institutionnel
Le renoncement nécessaire Tolérance institutionnelle
Postface
Bibliographie
Introduction
Cet ouvrage, consacré à l’histoire d’un service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, relate la naissance, l’évolution et l’enrichissement progressif de cette structure, et illustre en grande partie les aspirations et les chemins suivis par de nombreux dispositifs pédopsychiatriques français dans les années 1970. Ce mouvement de révision des postulats thérapeutiques avait été amorcé après la deuxième guerre mondiale et s’était concrétisé dans l’élan et l’évolution de la politique de sectorisation.
Mais comment ces aspirations se sont-elles incarnées dans la pratique quotidienne de désaliénation des institutions psychiatriques ? Comment sont-elles venues déstabiliser le lourd appareil institutionnel, qui tenait plus compte de son propre ronronnement asilaire que des besoins psychiques réels des patients ? Comment avons-nous réussi à ébranler cet appareil à écraser la subjectivité humaine ? Et que deviennent aujourd’hui ces réalisations, soumises à un démantèlement quasi systématique ? Que sont devenus les idéaux qui avaient mobilisé les espoirs foisonnants et l’éclatante créativité de ces générations de thérapeutes, aujourd’hui profondément déçus et désillusionnés ?
Le service, décrit dans cet ouvrage, s’est construit durant une trentaine d’années en se complexifiant progressivement, en variant et en articulant diverses modalités de démarches thérapeutiques, pour répondre au mieux à la souffrance et aux nécessités psychiques des enfants et des familles.
Outre le fait que peu d’écrits examinent en profondeur les difficultés de la pratique institutionnelle, ses aléas nous ont appris qu’il s’agit généralement de phénomènes récurrents. Ce constat demande un effort très important d’analyse des différents facteurs en jeu, car la compulsion de répétition, particulièrement agissante dans des structures accueillant des patients psychotiques, caractérise les difficultés de prise en compte des résistances institutionnelles. Elles s’organisent essentiellement à bas bruit, en sous-main. L’exigence d’un repérage minutieux de ces forces traverse comme un fil rouge l’histoire de l’ensemble des différentes structures décrites, crées et écloses graduellement.
Les dispositions ministérielles et administratives, à l’époque de l’ouverture de ce service, n’avaient pas pris suffisamment la mesure de la complexité spécifique et des nécessités particulières qu’exigent les traitements pensés et correctement adaptés aux besoins psychiques des enfants. Le modèle thérapeutique individuel demeurait prévalent à cette époque et ces structures, calquées sur le modèle de services pour patients psychiatriques adultes, ne tenaient pas du tout compte des articulations multiples et indispensables enfant-parents-famille-équipe soignante. Nous savons aujourd’hui que ces liens sont primordiaux et que c’est grâce à eux que se tisse le contenant garantissant la croissance psychique des petits patients. C’est sur cet appui que pourront naître et s’épanouir les fragiles Moi des enfants.
Aux origines, une part importante de l’énergie psychique de la jeune équipe soignante a été consacrée à la modification de ces dispositifs. Devenus obsolètes, leur adaptation aux nécessités d’une vision thérapeutique simultanément souple et exigeante, était indispensable.
Après l’ouverture d’un internat psychiatrique, formule quasi unique et largement prisée à l’époque de la mise en place de ce service (1974), cet outil thérapeutique premier a évolué vers des instances de soins de mieux en mieux adaptées aux caractéristiques des différents dysfonctionnements psychiques, comme aux différents âges des enfants. En parallèle avec les compétences thérapeutiques, la créativité des soignants suivait une courbe ascendante. Un intense travail d’analyse des spécificités institutionnelles étayait de manière très importante cette évolution.
Parallèlement à la fermeture de l’hospitalisation en internat (1992), qui ne répondait plus aux visions cliniques et thérapeutiques du moment, les possibilités de soin s’étaient enrichis par l’ouverture d’une unité d’accueil et de traitement pour jeunes enfants (1981), d’un hôpital de jour (1982) et en dernier lieu d’un centre de consultations et de suivi pour adolescents (1998). Un service pour enfants, dits arriérés profonds, a complété ce dispositif durant quelques courtes années. Les traitements ambulatoires et ceux à temps partiel fonctionnaient depuis l’ouverture du secteur et remplissaient au début le rôle de «laboratoire thérapeutique».
évoluant de manière relativement autonome, tout en continuant à faire partie d’un même ensemble cohérent, ces différentes modalités de prises en charge restaient liées par l’ambition d’une unicité de réflexion sur fond de postulats psychanalytiques. Bien qu’ayant un parcours propre et singulier, chacune des différentes structures s’inséraient, le plus possible, dans un tissu institutionnel global. Chacun avait sa place propre et les efforts étaient constants pour l’établissement et la consolidation de liens multiples et vivants.
La dynamique complexe de ces articulations était continuellement examinée dans le souci de mettre en exergue les forces liantes. Elles caractérisaient un ensemble, mis en demeure de lutter quotidiennement contre les contenus mortifères des pathologies psychotiques.
Le soin particulier pris pour que chacun puisse s’insérer dans un fonctionnement satisfaisant pour les enfants et pour les familles d’une part et pour les soignants d’autre part, a été animé et mu par un attachement aux valeurs psychanalytiques de base.
L’homogénéité d’un tel ensemble est une chose éminemment fragile et demande une attention toute particulière. Les intérêts des patients et des familles doivent rester toujours au coeur des préoccupations. Elles sont le noyau précieux et vivant, réservoir inépuisable de forces psychiques. Les postulats éthiques d’un tel fonctionnement sont la clef de voute d’une institution, ayant pour ambition d’être authentiquement thérapeutique.
Dans cet ouvrage la parole a été donnée à différents soignants qui ont eu le loisir d’expérimenter, mais également d’exprimer les spécificités de ce travail, leurs espoirs, comme leurs déceptions. Les inévitables résidus non analysés, émaillant continuellement le fonctionnement institutionnel, étaient des facteurs alourdissant et alimentaient les difficultés répétitives et inhérentes à un tel ensemble. Une place importante a été réservée à l’analyse de la souffrance institutionnelle et aux moyens mis en place pour sa compréhension et pour son dépassement.
Aujourd’hui, les nécessités socio-économiques et les changements profonds dans les politiques de santé viennent se lier avec les forces de résistance à la pensée créative.
Malheureusement et petit à petit, cet outil thérapeutique, dont les soignants tiraient une légitime fierté, est en train de basculer dans la perte de repères cliniques et théoriques, conduisant à une dévitalisation de la pensée. L’inconscient, force phobogène par excellence, est devenu une instance à combattre. Une illusoire efficacité thérapeutique est venue remplacer le travail ardu d’élaboration et de construction d’un authentique appareil à penser. Les méthodes de coercition psychique, qui sont venues remplacer le travail vivant de la psyché, exercent leur influence abrasive sur l’appareil à penser les pensées, aussi bien des enfants que des soignants.
Le très long travail de construction d’un dispositif, tel que décrit dans cet ouvrage, laisse ouvertes les portes vers l’espoir qu’un travail véritable de soins ne peut être que provisoirement voilé.
Cette conviction optimiste sera-t-elle en mesure d’étayer les forces de vie pour offrir un chemin de créativité et de liberté pour la psyché des enfants ?
En attendant le retour inévitable du balancier, à nos successeurs de relever ce défi...
Anastasia Nakov