La Collection Tavistock Clinic rassemble des ouvrages traduits de l'anglais écrits par des auteurs de la Tavistock Clinic, le célèbre centre de consultations, de formation et de recherche londonien.
Selon une approche à la fois psychanalytique et développementale, Autisme et Personnalité décrit les nouveaux développements des techniques thérapeutiques employées par les psychothérapeutes de la Tavistock Clinic pour soigner les enfants atteints d'autisme. Il souligne l'importance du travail de soutien auprès des parents et de la fratrie soumis à de considérables stress ; il insiste, comme l'écrit le Professeur Didier Houzel dans la préface à l'édition française, sur la nécessité d'associer pleinement les parents dans le traitement
Les neuf études de cas et les vignettes cliniques qui illustrent les idées théoriques résultant des travaux de l'Atelier sur l'Autisme de la Tavistock Clinic, mettent en lumière l'évolution de la relation qui s'établit entre le patient et le thérapeute ; le lecteur dispose ainsi d'un matériel particulièrement riche traitant de l'individualité de chaque enfant et de la sensibilité et du talent nécessaires au thérapeute dans le travail avec son jeune patient.
Accessible aussi bien aux professionnels qu'aux parents, Autisme et Personnalité propose un nouveau regard sur la nature, l'évolution et le traitement de l'autisme.
Les auteurs : Anne Alvarez et Susan Reid co-animent à la Tavistock Clinic l'Atelier de Recherche sur l'Autisme ainsi que le Service de soins pour les enfants atteints d'autisme.
Anne Alvarez dirige par ailleurs plusieurs projets de recherche sur l'autisme à la Tavistock et à l'université de Pise ; elle est l'auteur d'Une Présence Bien Vivante (1992).
Sue Reid dirige elle-aussi plusieurs programmes de recherche sur l'autisme ; sous sa direction a été publié en 1997 Developments in Infant Observation : The Tavistock Model.
Ont collaboré à ce livre les psychothérapeutes d'enfants et d'adolescents : Pamela Bartram, Janet Bungener, Judith Edwards, Carol Hanson, Trudy Klauber, Branka Pecotic, Michele Pundick, Maria Rhode et Biddy Youell.
Traduction : David Alcorn
Illustration de couverture de Meg Harris Williams
320 pages format 16 x 24 cm 25 Euros
Préface à l'édition française Didier Houzel
Préface
Remerciements
Postface
Bibliographie
Index
Préface à l'édition française
Professeur Didier Houzel
La publication en français de ces recherches de l'Atelier sur l'autisme de la Tavistock Clinic devrait, je pense, faire tomber bien des préventions qui se sont développées à l'encontre du traitement psychanalytique des enfants autistes. Il y a, à l'origine de cette prévention, une conjonction malheureuse de facteurs, qui a conduit à accréditer l'idée que la psychanalyse avait en ce domaine comme principal effet, si ce n'est comme but, de culpabiliser les parents en les accusant de défaillances dans leurs relations précoces avec leur enfant. Je crois utile de rappeler qu'une telle hypothèse n'a pas été émise d'abord par des psychanalystes, mais par l'inventeur même du syndrome autistique, Leo Kanner qui, dès son article princeps sur les "Troubles autistiques du contact affectif" (1943), tout en supputant un trouble inné du contact affectif chez les enfants dont il faisait une remarquable description clinique, stigmatisait leur entourage parental comme à la fois doué d'une intelligence supérieure et pauvre sur le plan affectif. Aucune de ces deux données n'a été confirmée par la suite. L'extrême prudence des chercheurs de la Tavistock et leur profond respect pour les parents contrastent avec ces affirmations hâtives, que Kanner a d'ailleurs vite regrettées lorsqu'il a vu à quels risques elles exposaient.
L'implication de la psychanalyse dans ce quiproquo aux sujets des parents me semble due pour une large part à une confusion, qui ne s'est levée que très lentement et qui n'est encore que partiellement levée, entre recherche psychanalytique et recherche étiologique. Historiquement, il y a concomitance entre les travaux de Freud sur la clinique et l'étiologie des névroses et ses premières explorations psychanalytiques. Mais, il faut souligner que la psychanalyse n'est née qu'au moment où il a compris qu'il avait affaire à deux réalités différentes : la réalité extérieure régie par les principes kantiens de causalité, d'espace et de temps et la réalité psychique régie par de tout autres principes, que la psychanalyse avait justement pour tâche de découvrir. La fameuse lettre du 21 septembre 1897, où Freud annonce à son ami Fliess qu'il ne croit plus à l'étiologie traumatique des névroses, sa neurotica comme il l'appelait, mérite ici d'être rappelée. Elle marque la découverte de la dualité des mondes dont je parlais plus haut et, par là même, celle de la réalité psychique. De là, il faut conclure que la psychanalyse n'a pas vocation à rechercher et à définir les causes d'un état psychopathologique, quel qu'il soit, mais bien plutôt d'explorer la signification inconsciente des manifestations morbides eu égard, non tant à l'histoire du sujet, qu'à son fonctionnement psychique actuel.
Rien d'utile ne peut être fait pour l'enfant sans qu'une relation de confiance entre psychothérapeute et parents ne s'établisse. Faute d'une telle confiance, l'enfant se sentirait vite pris dans un conflit de loyauté entre son attachement à ses parents et la relation qu'il noue avec son thérapeute. Les psychanalystes d'enfant savent depuis longtemps qu'une "alliance thérapeutique" entre parents et thérapeute est indispensable à la poursuite du projet. Mais, l'autisme infantile pose à cet égard un problème particulier. Les parents sont prêts à tout faire pour l'amélioration de leur enfant ; ils iront jusqu'à s'engager dans des conduites fréquentes à des séances de traitement, même s'ils ne sont pas convaincus de leur bien-fondé. Les auteurs nous font découvrir l'importance d'aller plus loin que cette adhésion de surface. Il est rien moins qu'évident, pour tout le monde, qu'un enfant autiste puisse être aidé par une psychothérapie analytique. Il a fallu pour s'en convaincre le travail intensif de quelques pionniers comme Frances Tustin, Esther Bick, Donald Meltzer. Les choses sont bien différentes lorsque l'on a affaire à des troubles de nature névrotique, qui d'emblée suggèrent l'existence chez l'enfant d'un conflit intra-psychique. On voit, dans plusieurs des cas qui sont rapportés dans cet ouvrage, la difficulté du thérapeute lui-même à croire à l'efficacité de ce qu'il fait. Tout, dans l'autisme, semble fait pour donner à croire que la pensée n'a pas sa place, que les symptômes sont dépourvus de signification psychique, que l'enfant n'a rien à dire de lui-même et sur lui-même. Il faut une observation minutieuse et une attention soutenue pour mettre en évidence par petites touches les fragments de message que contiennent les symptômes de l'enfant et sa capacité, fugitive d'abord, puis de plus en plus stable, d'utiliser les commentaires et interprétations que l'on peut en faire. L'Atelier de la Tavistock a découvert la nécessité d'associer les parents à cette démarche et propose la façon de les y associer, au cours d'entretiens exploratoires, répétés tout le temps nécessaire pour que chacun se fasse sa conviction quant au bien-fondé de la méthode. Il s'agit là d'une découverte fondamentale. Elle ne va, je le souligne encore, ni dans le sens de la mise en cause des parents dans l'étiologie des troubles de leur enfant, ni non plus dans le sens du déni de leur implication personnelle dans son monde. Elle leur permet de découvrir peu à peu, avec l'aide du thérapeute, mais surtout grâce à leurs propres capacités d'attention et d'observation, comment ils s'y trouvent impliqués, c'est-à-dire comme ils comptent pour l'enfant, même s'il ne peut le leur dire en clair, et combien il vaut la peine de lui faire crédit d'une capacité à émettre des messages chargés de sens, même s'il n'en est que très partiellement conscient. Alors l'alliance thérapeutique sera établie sur des bases solides et permettra aux uns et aux autres d'entreprendre la longue marche, semée d'embûches, du traitement psychanalytique.
Qu'il y ait des facteurs étiologiques, ou tout au moins des facteurs de risque de l'autisme infantile, ne fait aucun doute. Ils font l'objet de nombreuses recherches, génétiques, neurophysiologiques, épidémiologiques, psychologiques. Les membres de l'Atelier sur l'autisme de la Tavistock témoignent de leur vif intérêt pour ces recherches, ce qui s'inscrit en faux contre une autre idée reçue, celle de l'isolement de la recherche psychanalytique et du mépris où elle tiendrait les recherches de nature biologique ou cognitive. Il y a une réelle interfécondité entre ces différentes voies d'étude, pour autant qu'aucune ne prétende à l'exclusivité, ni ne condamne les autres a priori comme dépourvues de rigueur et d'efficacité. Pourquoi l'application de la méthode psychanalytique aux syndromes autistiques a-t-elle été l'objet de tels reproches et s'est-elle ainsi trouvée au centre de débats passionnés, voire passionnels ? Pourquoi cela semble-t-il si difficile à certains de faire place à ces différentes approches ? Les auteurs nous montrent l'intérêt de croiser entre elles différentes voies de recherche. Ils s'intéressent tout particulièrement aux recherches psychologiques sur le développement de l'enfant dans les domaines de la cognition et de l'affectivité, recherches qui aident le psychothérapeute, non seulement à mieux évaluer et comprendre les troubles qu'il traite, mais encore à infléchir sa méthode thérapeutique pour tenir mieux compte de la spécificité des troubles mis en évidence par ces approches.
Les recherches cognitives et développementales nous ont surtout éclairés sur deux points qui sont bien mis en évidence dans les cas rapportés. Le premier est la nature de la communication primaire, que les psychanalystes ont été les premiers à explorer, mais selon leur méthode interprétative et reconstructrice. La psychologie développementale nous la donne à connaître en temps réel. Cette communication primaire peut se définir : le partage d'états mentaux avec un partenaire. Il ne s'agit pas tant d'échanger des informations que de baigner dans une même atmosphère émotionnelle, de se rencontrer affectivement, d'avoir par instants le sentiment de faire un avec son vis-à-vis, le plus souvent la mère pour le nourrisson. C'est ce que Bion avait appelé "at-oneness" et que Frances Tustin a désigné par l'expression "flowing over at-oneness" (union par débordement) pour en souligner l'aspect dynamique. Ces concepts psychanalytiques rejoignent ceux d'intersubjectivité primaire de C. Trevarthen, d'accordage affectif de D. Stern, de communication primaire de J. Nadel, qui précise qu'il s'agit d'une communication analogique, non codée ni référencée, par opposition à la communication secondaire ou de ce que Trevarthen appelle "intersubjectivité secondaire". L'autisme, quelle qu'en soit l'étiologie, semble lié à un échec massif de cette communication primaire, qui confronte l'enfant prématurément à l'expérience de ressentir entre lui et son interlocuteur un espace qu'il ne peut franchir. Frances Tustin a parlé, pour décrire cela, d'une "naissance psychique prématurée".
Le second domaine dans lequel les recherches psychologiques ont éclairé le psychanalyste est celui des troubles cognitifs spécifiques de l'autisme. Outre le fait que les outils standardisés servant au diagnostic et à l'évaluation des enfants autistes sont issus de ces recherches, la mise en évidence de stratégies particulières ou de défaut de stratégie cognitive permet de mieux comprendre l'organisation ou les défauts d'organisation du monde intérieur de ces enfants. C'est le cas, en particulier, pour les troubles de l'attention constatés chez les enfants autistes et leur seuil d'excitabilité anormalement bas.
La différence entre une approche cognitive pure et une approche psychanalytique ne porte pas sur les objets d'étude, qui sont les mêmes de part et d'autre. Elle porte, d'abord sur les méthodes, ensuite sur les modèles. Là où le cognitivisme procède par des épreuves standardisées et systématiques, souvent d'une ingéniosité remarquable, la psychanalyse procède par l'exploration du transfert et du contre-transfert. Dans le premier cas, le protocole de recherche est défini à l'avance et le cadre dans lequel il s'applique est contingent. Dans le second cas, il n'y a pas de protocole préétabli, mais le cadre est rigoureusement fixé. Le cognitiviste sait ce qu'il cherche, quitte bien sûr à ne pas le trouver ; le psychanalyste ne sait pas ce qu'il va trouver, il doit laisser place à l'inconnu, à l'inattendu.
Les différences de modèle demanderaient à être longuement discutées, discussion d'autant plus délicate qu'il s'opère peu à peu un rapprochement, même s'il n'est pas toujours reconnu par les spécialistes. De plus en plus les psychanalystes sont amenés à prendre en compte les modes spécifiques du traitement de l'information dans tel ou tel champ de la psychopathologie et cela est particulièrement vrai pour l'autisme infantile, comme en témoigne les recherches de l'Atelier de la Tavistock. Symétriquement, les cognitivistes sont de plus en plus conscients que les dimensions émotionnelles et affectives entrent en ligne de compte dans les procédures de traitement de l'information, par exemple dans les processus d'attention, dans les processus de mémorisation et de remémoration. Le modèle de l'ordinateur et de l'intelligence artificielle, qui avait besoin d'une énergie simplement pour se mettre en route et pour rester en activité, ce modèle qui était encore celui majoritairement admis dans les années 1980, n'a plus guère d'adeptes aujourd'hui : la sphère émotionnelle n'est plus considérée comme une simple source d'énergie, elle apparaît constitutive des processus cognitifs les plus sophistiqués. Reste cependant un écart entre les modèles issus des approches cognitives et ceux issus des approches psychanalytiques, cet écart est celui de la dynamique de la relation entre le patient et le thérapeute à laquelle la psychanalyse se réfère, dynamique dont il infère l'existence dans le monde intrapsychique du patient. C'est ainsi que les auteurs du présent ouvrage interprètent en termes de défaillance d'une relation intrapsychique avec un objet interne attentif et contenant, les troubles des conduites attentionnelles mises en évidence par les cognitivistes. De même, ils réinterprètent le défaut de "théorie de l'esprit" mis en évidence par les recherches cognitives (Leslie, Frith et Baron-Cohen) en termes de "théorie de la personne" en faisant appel à une conception plus interpersonnelle et dynamique du fonctionnement psychique de l'autiste, qui échouerait à être en contact avec des objets internes bien vivants et doués de sociabilité.
La cure psychanalytique d'un enfant autiste est, comme toute cure psychanalytique, fondée sur le postulat que s'actualise, dans l'ici et maintenant de la séance, le monde interne de l'enfant où le thérapeute est appelé à jouer un rôle préétabli, qui lui est dicté par le transfert. Dans la mesure où il évitera au maximum d'entrer dans les rôles qui lui sont ainsi dictés pour tenter d'en comprendre la signification et la fonction dans l'économie psychique de son petit patient, dans cette mesure là il aidera l'enfant à mobiliser un monde interne figé et voué à l'éternelle répétition. C'est là le rôle de l'interprétation. Souvent, les parents s'étonnent que l'on puisse proposer un traitement psychanalytique à un enfant sans langage. Le langage n'est-il pas le médium incontournable de la pratique psychanalytique ? Voilà une conviction particulièrement ancrée dans nos esprits français car, plus qu'ailleurs, dans notre pays la psychanalyse s'est articulée autour du langage non seulement comme instrument, mais aussi comme modèle. Il est clair que le langage est le point d'aboutissement de tout travail psychanalytique, mais ce n'est pas son point de départ. Pour qu'une élaboration transférentielle soit achevée, il faut qu'elle soit mise en mots, mais le transfert ne trouve pas son origine dans les mots, il s'enracine dans une communication prélangagière et cela d'autant plus que l'on a affaire à un enfant jeune et à une pathologie précoce. Plutôt que tout articuler autour du langage, mieux vaudrait tout articuler autour de la communication, en se rappelant, comme je l'ai dit plus haut, qu'il y a une communication antérieure au langage et que c'est précisément cette communication là qui semble être en cause dans les états autistiques. Les travaux d'Anne Alvarez, l'une des codirectrices de l'Atelier sur l'Autisme, ont joué et continuent de jouer un rôle de premier plan pour nous aider à comprendre la nature de cette communication et l'attitude d'esprit que le thérapeute doit adopter dans sa relation avec un enfant autiste. La "présence bien vivante" qu'elle a décrite dans un ouvrage antérieur et dont la description est reprise ici, nous éloigne d'une excessive passivité, de l'attente illusoire d'un hypothétique désir, sans doute pas inexistant mais si bien masqué qu'il est nécessaire d'aller à sa rencontre et non de l'attendre passivement. Elle s'écarte tout autant d'une attitude trop directive, qui ne tiendrait pas compte des timides émergences des investissements de l'enfant et qui n'irait pas à la rencontre des significations cachées de ses fantasmes inconscients, attitude que l'on peut rencontrer dans certains programmes éducatifs qui ont le mérite de favoriser l'adaptation de l'enfant aux exigences du monde extérieur, mais qui ne lui permettent pas de se construire un monde interne riche et vivant.
J'ai tendance à interpréter en termes de bisexualité psychique archaïque les recommandations d'Anne Alvarez. Je crois, en suivant en cela Frances Tustin, que le processus autistique tend à cliver à un niveau très primitif les éléments de la bisexualité psychique. Une attitude du thérapeute trop passive et complaisante signifierait pour l'enfant, d'après cette hypothèse, qu'il a réussi à cliver et projeter à l'extérieur de la relation avec son thérapeute tout élément masculin, qu'il ressent comme menaçant, voire persécuteur. A l'inverse une attitude trop directive, manquant d'empathie, dénuée de la malléabilité nécessaire pour que l'enfant impose sa marque dans la relation, serait pour lui le signe du retour vengeur et implacable des éléments masculins clivés et projetés auxquels il serait bien obligé de se soumettre, mais sans qu'ils l'aident à structurer son monde interne. Cette référence à la bisexualité psychique archaïque, dès le niveau de la relation contenant-contenu qu'a décrit Bion, me paraît utile d'un point de vue théorique, mais aussi d'un point de vue pratique et cela à un double titre.
Le premier a trait au travail sur le contre-transfert si important dans les cures d'enfants autistes. Les nombreuses illustrations cliniques de ce volume en portent témoignage. Les thérapeutes parlent largement de leur contre-transfert, des difficultés qu'elles ont rencontrées dans leurs expériences contre-transférentielles avec leurs petits patients et de la nécessité absolue où elles se sont trouvées d'être aidées par des supervisions régulières pour élaborer ce contre-transfert. Une des difficultés essentielles, selon mon expérience, avec les enfants autistes, est de se sentir ballotté entre une position d'extrême complaisance et de totale réceptivité, attitude maternelle pure que l'enfant exploite inconsciemment pour ne rien changer, et une position autoritaire, voire implacable, dans une attitude paternelle pure qui ne laisse place à aucune compréhension et qui voudrait imposer à l'enfant de l'extérieur ses manières d'être et de se conduire.
Le second titre, auquel la référence à la bisexualité psychique me paraît utile, est la distinction entre les psychothérapies psychanalytiques et les autres démarches dont les enfants ou adolescents autistes ont besoin. On ne peut se contenter de les traiter. Cela n'aurait pas de sens. A-t-on jamais vu un adulte entrer en analyse en abandonnant tout autre activité et tout autre relation, professionnelle, familiale, amicale, etc. ? A fortiori, que signifierait prendre un enfant en traitement analytique en ne lui apportant pas par ailleurs toutes les occasions réelles dont il a besoin pour se construire : vie familiale, scolarisation, activités de loisir, etc., ainsi que toutes les aides non thérapeutiques dont tout enfant a besoin, éducative, pédagogique, etc. ? Mais, il est tout aussi important de ne pas confondre les cadres respectifs, de ne pas mélanger réalité psychique et réalité extérieure. On voit la difficulté toute particulière que cela pose dans les cures d'enfants ou d'adolescents autistes¸ d'autant plus sans doute que leur évolution est lente et partielle, qu'ils sont plus âgés et que l'on mesure l'importance de leurs déficits par rapport à leur classe d'âge. Or précisément, le clivage de la bisexualité psychique, au niveau très archaïque où il s'exerce dans l'autiste, peut facilement entraîner le thérapeute à jouer un rôle qui n'est pas le sien, s'il ne prend pas conscience qu'il est entraîné à son insu dans ce rôle par les projections de l'enfant.
Le très riche matériel clinique qui est rapporté dans cet ouvrage témoigne à la fois de l'intelligence, de la rigueur, du courage et de la modestie des membres de l'Atelier sur l'Autisme. Je ne doute pas que le lecteur soit captivé par les neuf traitements rapportés en détail, avec toute l'honnêteté et la clarté dont savent faire preuve en ce domaine nos collègues britanniques, sans fioritures inutiles, mais avec une précision remarquable. Ces cas devraient convaincre à eux seuls de l'efficacité du traitement psychanalytique de l'autisme infantile. Bien sûr, neuf cas ne suffisent pas pour faire des calculs statistiques qui auraient une valeur épidémiologique. Certains, au nom de l'Evidence Based Medecine, voudraient retirer aux études monographiques en psychiatrie tout intérêt. Cela est pure erreur de pensée. Les neurologues l'ont bien compris qui continuent à s'appuyer sur des cas uniques très approfondis pour développer leur discipline. Ne serait-il pas paradoxal d'y renoncer en psychiatrie, qui est par nature une médecine de cas uniques ? Par ailleurs, la quantité d'informations dont a besoin la démarche scientifique ne tient pas seulement à la multiplication des cas, mais aussi à la richesse de chacun des cas rapportés. Enfin, s'il devient un jour possible d'étendre les études à des grands nombres permettant de faire des corrélations statistiques, ce sera à partir des questions soulevées par les études monographiques. Je sais que cela est dans les intentions des membres de l'Atelier sur l'Autisme de la Tavistock Clinic. Lorsque l'on prend la mesure du temps consacré au traitement psychanalytique d'un seul enfant autiste, on ne peut honnêtement faire le procès à ceux qui s'y consacrent de n'avoir pas encore rassembler des cohortes suffisamment vastes pour leur donner une dimension statistique et épidémiologique.
Didier Houzel – Caen, juillet 2001